A l’heure où les publics migrent vers le digital, la majorité des organisations sportives continuent de surpondérer l’impact des médias traditionnels lorsqu’il s’agit de valoriser leurs espaces sponsoring. C’est un sous-marché à plusieurs milliards qui attend d’être exploité.

Une fin de saison déconfite, les attitudes et la stratégie malmenées par les médias, les échecs à répétition, l’image écornée par les “bad buzz”… Rien de tout cela – donc rien tout court – ne semble freiner l’agressive escalade commerciale du Paris-Saint-Germain. Récemment, le club octuple champion de France a signé un accord de partenariat historique avec Nike, lui rapportant 60 millions d’euros par an.

Dans les rouages de ce deal colossal qui lorgne les 500 millions d’euros au total, on peut pour sûr y retrouver les efforts commerciaux du PSG, notamment les créations textiles de la ligne « Jordan » qui ont engendré plus d’un million de ventes de produits Nike, ou encore l’ouverture d’un nouvel official store à Tokyo. Mais, au-delà du licensing, la plus-value qu’engendra l’équipementier américain se situera aussi, même surtout, au niveau médiatique. La visibilité reste l’arme ultime des gros clubs européens, bénéficiant d’une couverture en mondovision. Ainsi, un récent rapport de l’agence Strock indique que, durant la saison 2018/2019 seulement, l’exposition télévisuelle offerte par le Real Madrid à ses sponsors principaux vaudrait 29 millions d’euros. Le chiffre a été calculé en compilant le retour sur investissement (ROI) des partenaires du club madrilène sur la base de l’équivalence médiatique. En d’autres termes, le rapport fait référence à la valeur financière de la visibilité télévisuelle bénéficiée par les marques au travers de leur partenariat avec le Real Madrid.

Si cette méthodologie reste la plus courante lorsqu’il s’agit de mesurer le ROI d’une initiative de partenariat sportif, cette dernière est toutefois sur le point de subir une cinglante distorsion. En première instance, il faut noter que la télévision est un média foncièrement rigide qui ne permet pas d’aborder l’audience sur le plan attitudinal (la manière dont l’audience réagit avec le contenu). Deuxièmement, les nouvelles habitudes de consommation des fans de sport, dont le « cord cutting » et l’avènement du streaming, ainsi que la tendance grimpante des compétitions à vendre leurs droits médiatiques aux télévisions payantes aux dépends des chaînes gratuites, limitent toujours plus l’impact des canaux traditionnels.

Au sein d’une industrie sportive ultra-fragmentée qui ressemble moins à une cumulation de pics événementiels qu’à un feuilleton diffusé en continue sur de multiples canaux, il est primordial pour les ayant-droits de construire un robuste écosystème de communication

Alors, les traditions ont peut-être la vie dure, mais rien ne dit que leur popularité ne peut s’altérer avec le temps. En avril dernier, un rapport publié par l’agence de marketing sportif Two Circles mettait un coup de pied dans la fourmilière en scandant que, en 2019, la consommation des produits sportifs sur les médias digitaux sera supérieure à celle enregistrée sur les médias linéaires (télévision, radio…). Graduellement mais sûrement, l’audience migre. Pourtant, les ayant-droits continuent de packager leurs offres de sponsoring sur les données plus au moins obsolètes – du moins non exhaustives – des audimats télés. C’est le message provocateur (et non désintéressé) de Two Circles, qui indique aux organisations sportives qu’elles ignorent un marché dans le marché qui, cumulativement, vaudrait 16 milliards d’euros.

Mais concrètement, comment est-ce que cette correction a été calculée ? Le directeur des marchés EMEA pour Two Circles Kristian Gotsch répond que leur « méthodologie de valorisation financière des audiences est plutôt robuste, même si, selon les outils et les agences, les données peuvent parfois varier. » A l’image de Hookit ou Nielsen Sport, Two Circles utilise algorithmes et intelligence artificielle pour traduire les niveaux de visibilité et d’engagement des contenus de leurs partenaires en valeur media. Kristian Gotsch ajoute que l’agence utilise aussi des métriques adaptées aux objectifs de ses marques partenaires, tels que le niveau d’affinité, l’intention d’achat ou les conversions directes. Afin de ratisser tous les points d’audience, la mesure est effectuée non seulement sur les médias digitaux propriétés des ayant-droits (sites internet, applications), mais aussi sur les plateformes tierces comme les réseaux sociaux.

Reste à entamer ledit potentiel. Au sein d’une industrie sportive ultra-fragmentée qui ressemble moins à une cumulation de pics événementiels qu’à un feuilleton diffusé en continue sur de multiples canaux, il est primordial pour les ayant-droits de, avant toute chose, construire un robuste écosystème de communication. Le Sports Innovation Lab de Boston parle de modèle « transmedia », dont les nombreux points de contact donnent la flexibilité aux fans digitaux – les fans « fluides » – de consommer le type de contenu qu’ils veulent, où ils veulent, et quand ils veulent. A ce propos, la NBA est souvent érigée en « best practice », tant la ligue américaine est parvenue à transformer une ligue sportive en un business à franchise comptant de multiples distributeurs de contenu et points d’interaction.

Ce pouvoir de monétisation est l’égal du volume multiplié par la haute qualification des audiences digitales.

Ensuite, lorsque les supports digitaux se mettent à générer du trafic, il s’agit alors de travailler autour de la data. Selon un livre blanc publié par Infront X, ou iX.co, nouvelle arme digitale de l’agence Infront Sports & Media, l’accouplement des médias digitaux avec la science des données permet un profilage granulaire des audiences, sur le plan démographique (âge, sexe, location…) comme attitudinal (type contenu consulté). Une fois les données collectées puis analysées, des segments d’audience peuvent alors être constitués. Toujours selon Infront X, il existe deux pôles majeurs d’activation. Sur le plan de la demande d’abord, le fait d’avoir une connaissance précise de son audience permet aux organisations sportives de créer des profils types (personas) qui seront ciblés lors des différentes campagnes visant à accroître l’audience.

Mais, il se trouve que c’est bien du côté de l’offre que le potentiel se situe. Car ces segments d’audience, ultra-précis, peuvent être vendus aux annonceurs, soit par le biais de publicités traditionnelles, soit au travers de campagnes sur mesure comme celles qui peuvent découler d’un partenariat sportif. Ainsi, dans le cas d’un sponsor comme Visa, une campagne de branded content sur le thème de la Champions League publiée sur les médias digitaux de l’UEFA dispose d’atouts majeurs si, en suivant la stratégie décrite ci-avant, l’UEFA est en mesure de micro-cibler les segments d’audience auxquels Visa s’intéresse. Au final, ce pouvoir de monétisation est l’égal du volume multiplié par la haute qualification des audiences digitales.

Pour synthétiser, les nouveaux médias permettent d’atteindre les fans à la carabine de précision, tandis que la télévision mitraille encore très hasardeusement, gaspillant pléthore de munitions. Pour les institutions sportives, le potentiel du digital se voit décuplé par le niveau d’engagement de leur communauté qui, reflétant la puissance émotionnelle du sport, dépasse très largement la moyenne des autres industries. Alors, au-delà de leurs relais sur Google, Facebook et autres Youtube, le temps est venu pour le sport d’appuyer son emprunte, et de prendre pleinement le contrôle sur ses audiences.

 

Robin Fasel via Boxing Day Media
@RobinFasel
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